Construction du nouveau siège de
l’Assemblée Nationale du Bénin
Des milliards dans la gadoue à Porto-Novo
Plus de neuf (09) ans après le démarrage
des travaux de construction du siège de l’Assemblée
nationale à Porto-Novo, le chantier prévu pour s’achever en 24 mois est toujours à l’arrêt. Au-delà de ce qu’il
constitue un éléphant blanc, cet
important projet financé sur le budget national apparait pour beaucoup de
Béninois comme le symbole vivant de la mal gouvernance en République du Bénin.
Alexis
Mèton
En venant
de Cotonou et en jetant un coup d’œil sur sa droite, à la descente du pont de
Porto-Novo (30 km à l’est de Cotonou), on est impressionné par le grand
chantier de construction du nouveau siège de l’Assemblée nationale encore
inachevé. Pourtant quatorze milliards de F Cfa (28 millions de dollars US) y
ont été engloutis. Alors que ces lieux devraient abriter les débats
parlementaires depuis plus de sept ans, ce sont de hautes herbes qui encerclent
les bâtiments pillés par des délinquants. Malgré les énormes travaux de
remblais précédemment faits, l’eau de la lagune repoussée pour y ériger la
bâtisse a repris sa place par endroit. Non seulement, les
travaux sont loin de s’achever, mais l’entrepreneur marocain Abdel Kader Moutaïb qui avait à charge les gros œuvres a
gagné en première instance son procès contre l’Etat béninois. Procès dans
lequel il réclame 28 milliards de F Cfa de dommages subis. Ce dernier a fait
cette action en justice après avoir passé lui-même 20 mois en prison, sur
plainte du Gouvernement. Mais, même le génie militaire appelé à la rescousse
après un long arrêt du chantier n’a pu faire de miracle.
Les raisons de ce blocage sont multiples.
Blaise Ahanhanzo Glèle, ministre de
l’environnement, de l’habitat et de l’urbanisme, répondant aux interpellations
des députés: «La nature marécageuse du
terrain qui a nécessité des dispositions spéciales pour les fondations, le
retard dans le paiement de certaines avances de démarrage, en l’occurrence pour
de gros-œuvre, après l’ordre de commencer les travaux et surtout la mauvaise
organisation des entreprises exécutantes expliquent le piétinement du chantier »
Faisant
écho de la colère de ses collègues députés, Mathurin Nago martèle : « Cette affaire est un scandale, un véritable
serpent de mer ».
Les
députés tentent d’enquêter
Après analyse de la situation, une
communication a été introduite en conseil des ministres, le 12 septembre 2012
pour présenter le point des travaux, ainsi que les dispositions prises pour
l’achèvement du chantier dont la mise en régie contrôlée du reste des travaux
du lot 1 démarrée, le 1er septembre 2012. Le Gouvernement, en sa
séance du 10 octobre 2012, a décidé de réaliser un audit général du chantier
pour situer les responsabilités. Selon le rapport déposé par le Bureau Veritas
Bénin, les travaux d’amélioration du sol
réalisés sont concluants et conformes au regard des charges du projet. Mieux,
les travaux des fondations de l’ensemble du projet excepté ceux du bloc
administratif sont conformes aux normes et aux règles de l’art. Toutefois, des
mesures de renforcement du bloc administratif devront être menées sur certains poteaux. En utilisant des
poinçons, on aurait ébranlé la solidité de l’édifice. C’est pratiquement à la
même conclusion qu’est parvenu le Groupement des Entreprises Emcr qui a
sollicité les services du Cabinet SIMPRO.
Compte tenu du grand retard enregistré
dans la réalisation de ce projet, les députés, par la voix de leur collègue
Moussou Monhossou, ont cherché à voir clair dans le dossier. La
représentation nationale décide alors de mettre en place une commission
d’enquête parlementaire, pour mieux comprendre les dessous de cette ténébreuse
affaire. Ladite commission d’enquête restera lettre morte. «L’Etat et Abdel Kader Moutaib ayant engagé des poursuites judiciaires
réciproquement, les députés ne pouvaient plus créer une commission d’enquête
sur le même dossier. Ainsi en a disposé le règlement intérieur de l’Assemblée
nationale », justifie Isaac Fayomi, directeur des services législatifs
de l’Assemblée nationale. Les dispositions de l’article 115.2 du
règlement intérieur de l’Assemblée Nationale, donnent d’amples détails. Article
115.2 : « Si le Garde des
Sceaux fait connaître que des poursuites sont en cours sur les faits ayant
motivé le dépôt de la proposition de résolution, celle-ci ne peut être mise en
discussion. Si la discussion concernée a déjà commencé, elle est immédiatement
interrompue ».
Encore 41 milliards à injecter pour
réveiller l’éléphant blanc
De
2013 à 2016, l’Etat a toujours fait une provision de 4,5 milliards de F Cfa
dans le budget de ministère de l’urbanisme, relativement au chantier de
construction du nouveau siège de l’Assemblée nationale. C’est d’ailleurs une
partie de ces fonds qui a été débloqué au profit du Génie militaire appelée à
la rescousse en 2015 par l’ancien président de la République, pour poursuivre
les travaux en régie déléguée, alors qu’initialement cette composante de
l’Armée n’était nullement impliquée dans le projet. Mais le miracle ne s’est
pas produit. Le chantier est toujours inachevé. L’image apocalyptique présentée
par ce projet a amené le nouveau président de la République, Patrice Talon, à
ordonner l’arrêt des travaux pour réévaluer le projet au plan, juridique,
financier et technique. Le 8 novembre 2016, Didier Tonato et Joseph Djogbénou,
respectivement ministre du cadre de vie et de la justice annoncent, à la faveur
d’une conférence de presse, la suspension du mémorandum d’entente signé entre
l’Etat béninois et la SERHAU SA. « La
justice est un préalable. Il faut dégager l’horizon judiciaire et se donner les
moyens de terminer en sérénité ce chantier », ont déclaré les deux
ministres. Au bout de 54 jours, le comité de travail mis en place par le
Président Patrice Talon a conclu à un nouveau coût d’objectif global de près 41
milliards de F Cfa, pour la finalisation de tous les travaux y compris plus de
2,5 milliards de F Cfa de contentieux, un surcoût de plus de 700 millions de F
Cfa, dus à la suspension des travaux, 7 milliards de F Cfa de travaux
complémentaires et plus de 300 millions de F Cfa de dégradation et avaries.
Encadré : Solution de
rechange
Pendant
cette bataille juridique et judiciaire, les députés restent à l’étroit dans les
locaux de l’ancien Palais des gouverneurs qui continue d’abriter le Parlement. Pour
pallier les problèmes auxquels ils sont confrontés, la parade a été trouvée par
les Présidents Nago et Houngbédji. Vers la fin de son second mandat à la tête
de l’institution parlementaire, le Président Nago a fait l’option de
solutionner partiellement les problèmes du personnel en faisant ériger un
bâtiment de type R+2 au niveau du Secrétariat général administratif de
l’Assemblée Nationale. Me Adrien Houngbédji, actuel Président de l’Assemblée
Nationale n’a pas attendu la fin de son mandat pour agir. Il a lancé il y a
quatre mois, les travaux de construction de deux bâtiments de type R+2 pour
servir de bureau aux députés. Les deux bâtiments ont été construits au Palais
des Gouverneurs dans le strict respect de l’environnement et du plan architectural
de la ville de Porto-Novo qui rappelle le style portugais et afro-brésilien.
Les travaux sont à l’étape de la finition et le bâtiment abritera les bureaux
des députés dès la session budgétaire du
mois d’octobre 2017. « Ce chantier
ne sera pas comme celui qui est à la descente du pont. Nous avons pris des
dispositions pour l’achever dans les délais contractuels. Et c’est pourquoi
nous avons choisi de travailler nuit et jour, sous le soleil et sous la pluie
pour tenir notre engagement », a rassuré Cyprien Koudan superviseur de
la société SEIB.
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| le reste du chantier |
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| Image de l'éléphant blanc |
Enquête
réalisée dans le cadre du projet « Pour des médias plus
professionnels » de la maison des médias avec l’appui financier de OSIWA




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